La chronique

BTP Algérie

Toi, mon toit !

« Dans l’oubli se loge la meilleure part de la mémoire. »

Quand on parle du logement en Algérie, on lui ajoute d’emblée le substantif de « problématique ». C’est dire que ce secteur vital, véritable locomotive économique, est surtout appréhendé sous l’angle d’un problème qui dure dans le temps, voire insoluble.
Combien de formules ont été testées en Algérie ? Aadl, LSP, LPA, LPP, logement social, rural, attribution de terrains à bâtir. Combien d’institutions ont été mises sur pied pour le solutionner ? CNL, FNPOS, FGCMPI, etc. Combien de banques l’ont financé ? CNEP, CPA, BDL. Combien d’entreprises de réalisation ont intervenu dans ce secteur ? Cosider, DNC, EPLF, OPGI, etc. Combien de nationalités ont mis à l’œuvre leurs connaissances techniques et leurs goûts architecturaux ? Danois, Portugais, Égyptiens, Français, Turques, Chinois et… Algériens.

La corporation experte des bâtisseurs du monde est passée chez nous mais le déficit ne s’est pas réduit pour autant. Bien au contraire, il manque toujours environ un bon million de logements pour que chaque Algérien ait droit, selon la Constitution, à son logement.

Pourtant, les chantiers de construction pullulent. Des cités-dortoir sans infrastructures de base et sans âme sortent de terre comme fleurissent les herbes sauvages au printemps. Des cages à poules des grands ensembles aux lopins de terrain « désagriculturés » : l’essentiel que la tête soit au-dessous d’un toit. Des opérations sporadiques aux relents politiciens sont menées de temps à autre avec l’œil aveugle de l’administration. Résultat : émeutes et routes barrées. Constats de mécontentement et de mal-vie alors que la télé ne montre des scènes de liesse d’heureux bénéficiaires parcourant langoureusement le logement-témoin. « Débondivilisés » après des décennies d’attente, les gens sont ravis d’avoir enfin un vrai toit. Puis, se rendent compte que cela ne suffit pas pour vivre. Et nostalgie oblige, retournent souvent dans leurs quartiers d’origine, histoire de se retremper dans l’ambiance d’antan et d’avoir accès aux bienfaits de la civilisation.

Fin d’un cycle de désespérance pour certains et début d’un nouveau cycle de démarches revendicatives, de pleurs et de schizophrénie pour les recalés. Ils entameront dès le lendemain, la « construction » d’une nouvelle baraque tout en monnayant le F3 des jours heureux. Le cercle étant rond et vicieux, le retour à la case départ est inéluctable. A la longue, enfin, ils se sédentarisent bon gré mal gré et se gargarisent d’être les « ouled lbled »… Éternel déracinement d’un pays malmené par les soubresauts de l’histoire contemporaine.

Certains disent même que ce déficit qu’on n’arrive pas à combler n’en est pas réellement un. Ce million aurait été, bel et bien, réalisé et distribué… sous le manteau de lmaârifa. Et servent le plus souvent de garçonnières.

Cette défaillance statistique a commencé à croître quand, dans les années 80, l’État a opté pour la philosophie de la propriété individuelle, omettant par la même que le développement démographique est antagoniquement proportionnel à la production en logements. Et avec le morcèlement de la Grande Maison en une cellule infime, le besoin en m2 est devenu exponentiel.

La location d’un bien habitable étant perçue, dans l’imaginaire collectif, comme synonyme de « zawali », tout le monde veut alors posséder un bien immobilier en son nom… pour faire bien dans le paraitre ambiant, même s’il faut « s’étrangler » la ceinture. Car désormais, la reconnaissance du statut social passe par le nombre d’étages bâtis et… la voiture qui va avec.

Pourtant, nous qui sommes friands des programmes satellitaires et au mode de vie occidental, voyons bien que dans ces pays où la propriété est le summum du capitalisme, être locataire est vécu comme un modèle de liberté… qui permet de se déplacer au gré des besoins financiers, des mutations professionnelles et des envies de changement.

Un ami avait coutume de dire aux « exilés » volontaires et aux harragas aventuriers, bon vent ! mais laissez nous les clés de votre appartement. Personne ne l’a entendu. Et à 45 ans, il vit encore chez sa maman.

Farid Benahmed

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