La chronique

Un affolement démographique ? De Rachid Sidiboumedine

Reproduisant près de deux siècles après la fameuse comparaison de Malthus- qui allait donner lieu à des débats infinis- sur le décalage entre le rythme de croissance des ressources(faible) et celui de la population(rapide), un quotidien national vient de titrer en première page : « L’Algérie face à la pression démographique » et réserve à cette question ses pages intérieures consacrées à l’économie.

Ces articles font plus que sous entendre qu’arrivera le moment , comme le craignait Malthus, où le rythme de progression du niveau des ressources serait inferieur à celui de la population, tout au moins si on reste dans le cadre de l’économie actuelle fondée sur la rente des hydrocarbures , et non sur une économie de la production.

Voila bien longtemps qu’en Algérie le thème de la croissance démographique excessive n’avait été évoqué ; depuis que, approximativement, ce thème, cher aux Malthusiens, avait été rejeté au cours des années soixante dix par les tenants des la thèse du développement (des pays du Tiers Monde sous entendu) nécessaire et indépendant de nos pays, contre le néocolonialisme menaçant.

Il est vrai que ceux qui alimentaient déjà la peur de l’envahissement (de l’Occident et de l’Europe) par des masses de migrants avaient aussi lancé des campagnes de stérilisation biologique, dans le vain espoir d’infléchir ces tendances et dans la volonté délibérée d’ignorer sinon même de contrecarrer les volontés de développement de ces pays. Qu’on retienne comment les objets des la fureur étaient surtout les pays qui voulaient construire une société post coloniale plus juste, et qui se donnaient le nom de « pays socialiste : l’Egypte, l’Algérie, Le Mali, le Congo et tant d’autres.

Est-ce que les craintes exprimées dans cette série d’articles dans ce quotidien national sont fondées ? En quoi consistent-elles au juste ? Faut-il les prendre au pied de la lettre ?
Il nous faut à la fois cerner les problèmes et les relativiser ou au moins les mettre en contexte pour en mesurer la portée possible :

1- Croissance de population et rythme de croissance : l’augmentation de population annoncée en 2015 a pour contexte , contrairement à la situation des années soixante et soixante dix, non pas une population très jeune, due à un boom de rattrapage des mariages après l’Indépendance et le boom des naissance qui s’en est suivi, mais une population vieillie (pyramide en meule de paille où la part des populations âgées est plus forte que celle des bas âges) où le taux de croissance globale frôle les 1,3% au lieu des 3,5% des années soixante dix.
De plus ce phénomène de rattrapage, contrairement au premier ne concernera qu’une partie de la population et non pas la totalité ; de plus, rappelons que ce taux (nouveau ?) affiché de 2,2 ou presque dépasse à peine le taux de renouvellement, ce qui est loin de rajeunir la population actuelle.

2- Ceci signifie qu’on continuera à avoir à la fois un vieillissement par l’allongement de l’âge moyen (meilleures espérances de vie) et par affaiblissement de la nuptialité (manque de logements, chômage, élévation de l’instruction) et de la natalité. En d’autres termes il n’y a aucune raison que les pratiques démographiques qui ont conduit à ce vieillissement cessent, bien au contraire, en raison précisément des incertitudes de l’avenir. Par contre, les attributions de logements de ces trois dernières années ont donc vraisemblablement engendré chez les bénéficiaires (quel est leur poids relatif ?) une poussée de la nuptialité et, dans une certaine mesure de la natalité.

3- Pour mesurer les effets de ce nouvel élan et s’il est avéré (réellement observé durant un certain temps, et ses bases analysées et non pas traité comme un « sujet » de journalisme) il faut d’abord attendre pour s’assurer que la croissance de la nuptialité persiste (n’oublions pas que l’âge au mariage atteint et dépasse même trente ans contre dix huit à vingt par le passé) et que, aussi, le nombre moyen d’enfants par ménage abaissé par rapport au passé ? Observera-t-on de nouveau des familles des six enfants ou au contraire restera-t-on est on dans le modèle de famille a deux ou trois enfants ? Le vieillissement dont nous avons parlé et qui est observable depuis 1977 (dès la baisse du boom de rattrapage post indépendance des mariages et naissances) est du à ces deux facteurs conjugués du mariage tardif et du modèle de famille (et de la fécondité) plus restreint.

4- Ceci dit et puisque la démographie (au sens de taille et structure d’une population) est le résultat des pratiques sociales (qui se marie et quand, qui enfante et combien),il faut considérer, sur la totalité de la population, les effets de la scolarisation de plus en plus longue des filles (très présente dans l’encadrement de l’économie et des administrations) et des retards au mariage, et du désir des jeunes de « vivre » une vie avant le mariage.

5- Il faut aussi mesurer les effets qualitatifs et quantitatifs des actions de l’Etat qui est entrain d’en modifier les conditions (pour une catégorie de population) à travers cette politique du (re) logement qui engendre des rattrapages de nuptialité. Mais le fait de loger des gens à revenus faibles et moyens, dans des ensembles éloignés des centres villes, sous équipés, faiblement pourvus en emplois va d’abord avoir, dans cette hypothèse de l’accélération de la nuptialité et de la natalité des effets de demande de santé et de scolarisation dans les années à venir (ceux qui sont nés ont besoin de santé et de places à l’école primaire, etc.). Cette politique si on se réfère aux faiblesses traditionnelles de l’action de l’Etat signifiera faiblesse de la scolarisation, faibles taux d’accès au CEM, au Lycée, etc. selon le processus d’exclusion classique des couches sociales les plus fragiles.

6- On risque alors d’assister au cours des vingt prochaines années, comme prédit par les articles du journal, mais centré dans ces nouveaux ensembles, à la consolidation de tous les mécanismes classiques de l’exclusion sociale : plus d’échec scolaire et social, plus de natalité, mais plus de délinquance, plus de misère sociale. On aura simplement délocalisé, en l’amplifiant, puisqu’il concernera plus de personnes, le processus de l’exclusion et on l’aura aggravée et ses victimes aggraveront, comme en pareil cas, leur situation par une natalité plus élevée.

C’est encore une différence par rapport à la situation post indépendance : le projet à l’époque était de lutter contre les effets d’une croissance rapide de population par le développement et la scolarisation, alors que dans la société capitaliste algérienne actuelle (nom que personne ne veut lui donner pour exorciser ses effets et sa réalité), déjà marquée par des inégalités de plus en plus criantes, nous irons vers ce résultat de leur aggravation au détriment ,entre autres de ceux qu’on aura « sauvés » en les relogeant.

Si nous changeons d’échelle, en passant à celle de l ‘aménagement du territoire (échelle des régions et du pays), la terminologie de l’attractivité et de la compétitivité jouera sournoisement en faveur de l’abandon des chances pour les régions défavorisées par la nature et l’histoire, d’être encore plus abandonnées ; aussi faut-il cesser de jouer les «Cassandre » en ce qui concerne l’excessive concentration de population et d’activités au Nord, car c’est dans cette caractéristique que réside en partie la rentabilité des investissements ,auxquels il est offert une densité des infrastructures, de main d’œuvre qualifiée, de masse de clientèle , etc. toutes choses désirées et désirables dans les nouveaux canons du développement.

Rétablir des « équi-répartitions » démographiques à la manière des optimums de Sauvy, signifie d’abord une politique de justice sociale, de plein épanouissement des citoyens, de traiter les régions et les citoyens qui les habitent de manière équitable, ce qui les amènerait à des pratiques démographiques rationnelles en terme de mariage comme de natalité.

Révisons donc nos classiques et précisons nos options politiques et nos choix de vie.

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Commentaires

b.k. · juin 30, 09:13

Bonjour,
Tout à fait d’accord avec vous.
Vous avez raison de dire que la société algérienne actuelle est “capitaliste”, de plus elle n’a pas mis en place de système performant de justice sociale, comme dans d’autres pays .
Le fossé entre les (nouveaux) riches et les autres est réel, de même que la différence qui existe entre les régions du nord et celles du sud. La politique de rééquilibrage démographique, sociale et économique prévue sur le papier (par le SNAT notamment) peine à se concrétiser…

Zidane Mahfoud · sept. 11, 04:45

Le sujet est d’actualité autant que ‘brulant’…la démographie en Algérie…nos sociologues (chloroformés) pae des salaires ‘améliorés’ à l’université ne bronchent plus ! Des millions de jeunes scolarisés…et aussitot en quete de travail…et de survie…et dont tout cà on remet sur le tapis un SNAT complètement déphasé qui ‘vogue’ tel un navire en perdition au milieu du brouillard…

ZEROUAL LOTFI · janv. 28, 08:07

assez des constats
proposez des solutions !


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