Pour Akli Amrouche, architecte-urbansite et directeur de la revue «Vies des villes», la place est beaucoup plus au bricolage et au bâclage avec comme résultat des projets qui se dégradent rapidement avec toutes les conséquences sur le plan économique
-La réfection des trottoirs est un phénomène qui se répète périodiquement, alors que d’autres préoccupations sur le plan urbanistique tardent à être prises en charge par les mairies. Pourquoi, selon vous ?
La réfection des trottoirs est une bonne chose en soi, le traitement des espaces publics passe inévitablement par l’aménagement du socle urbain, support de la vie communautaire et lieu de notre habitat urbain ; en revanche, il ne s’agit là que d’un détail considéré comme la finalité de tout un processus, difficilement maîtrisable certes, mais indispensable quand nous voulons bien gérer nos espaces urbains : je veux parler de l’ingénierie urbaine. Votre remarque est en effet très juste ; avant d’arriver aux trottoirs, il y a plein de problèmes à gérer en amont. Les voiries urbaines sont des canaux d’irrigation pour les flux piétons et mécaniques, ils contiennent les commerces, les services et surtout les réseaux divers : fibres optiques, câbles téléphoniques, télé, électricité, gaz, eau, réseaux d’égouts, eaux pluviales, réseaux électrique de l’éclairage urbain. Je viens de décrire ici des viabilités nécessaires à la vie moderne ; tous ces réseaux doivent être connectés aux immeubles et doivent aussi être accessibles pour leur entretien.
Le problème est que pour chaque réseau, il y a un concessionnaire : Sonelgaz, Seaal, Erma, Poste, Ona, etc. et la difficulté est de faire travailler tout ce beau monde ensemble sur des projets urbains communs à tous. Bien entendu, il faut d’abord que ces projets existent, car pour se mettre en situation de projet, il faut un moteur, un maître d’ouvrage exigeant qui sait ce qu’il veut. Chez nous en Algérie, c’est justement l’absence de projet qui fait que chacun travaille pour son seul intérêt et les contradictions apparaissent flagrantes en surface : c’est le désordre urbain ; pour moi, c’est ce qu’on appelle le sous-développement.
Il faut qu’il y ait un maître d’ouvrage unique pour ce genre d’intervention, où le gros du travail est de mettre tous les concessionnaires d’accord pour enfouir leurs réseaux de manière organisée en permettant l’aménagement de regards bien dimensionnés pour pouvoir intervenir en cas de panne. En surface, il est important que les municipalités s’accordent sur un aménagement réfléchi. Et si on veut avoir des résultats appréciables, les études de conception du nouvel espace doivent intégrer la chaussée, les trottoirs, les réseaux, le design du mobilier et les plantations ; ce sont tous ces éléments avec les façades des immeubles qui forment ce qu’on appelle communément l’«espace public».
-Quel impact sur l’environnement et sur les finances locales, d’autant que les travaux s’éternisent parfois ?
Quand vous avez un réel projet d’amélioration urbaine basé sur des études sérieuses, tout les arguments doivent être communiqués aux citoyens, aux commerçants pour que de leur côté ils se mobilisent pour aider à la réussite des travaux ; c’est dans leur intérêt après tout, la valeur de leur bien augmente et l’environnement devient plus cohérent et plus agréable à vivre. Pour maîtriser le déroulement des chantiers, l’implication des citoyens est donc une nécessité ; le problème chez nous, c’est qu’il n’y a pas de dispositif de concertation ni les personnes compétentes pour mener ce rapprochement, on préfère s’ignorer, on bricole comme on peut, on bâcle le travail qui, finalité des courses, est dégradé très rapidement. Par contre, si on arrive à de bons résultats, c’est tout le tissu économique qui en profitera.
-Il y a aussi cette absence d’harmonisation des matériaux utilisés par les APC d’une même ville ?
L’harmonie se réalise par l’intelligence des concepteurs et la bonne exécution par les entreprises des travaux dans le respect des règles de l’art. C’est parce qu’il n’y a pas d’étude que le référentiel normatif est très faible, que les urbanistes ne sont pas sollicités qu’on arrive à prendre des décisions arbitraires sans logique particulière. Aujourd’hui, il n’y a pas de projet de ville, il n’y a rien d’étonnant quand on voit les résultats. Cela cause un chahut visuel qu’on ne peut réparer que s’il y a une véritable volonté de changer nos façons de travailler sur l’espace public. La balle est dans le camp de nos gestionnaires. Leur responsabilité est engagée. Il suffit de trouver les meilleurs dispositifs, peut être les inventer et les mettre en pratique en toute confiance. Nous avons de la marge, on ne peut que s’améliorer dans ce domaine.
Par Samira Imadalou
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