La chronique

BTP Algérie

La toponymie ou le GPS de l’histoire

«Tout ce qui est vraiment grand et inspiré n’a été réalisé que par des individus travaillant librement». Albert Einstein

Que vous évoque Haï El Yasmine et la cité des 720 logements ? Deux lieux d’habitation bien de chez nous et une perception de la géographie socio-culturelle du pays complètement différents, voire antagonistes.

L’esprit s’emballe tout de go pour le premier et s’imagine dans une résidence fleurie, aux allées ombragées et à la propreté immaculée, de l’espace pour les jeux des enfants et de détente pour les vieux, des appartements modernes et fonctionnels. D’ailleurs, le marketing immobilier l’a bien compris : les nouvelles résidences clôturées étrennent des noms évocateurs de suaves effluves de calme et de bien-être et fait, même oublier le prix majestueusement astronomique du mètre carré. La sérénité, qui rime avec sécurité, se paye de nos jours, semble-t-il, au prorata de l’espace vital.

A l’évocation de la cité des … logements, notre imagination se tasse immédiatement entre des rues sombres et étroites, des habitations lézardées, un vis-à-vis lorgnant sur votre chambre, une foule de résidants bigarrée, des bennes à ordure débordant de jour comme de nuit, des terrains vagues, un ciel poussiéreux et des sachets éventrés. Cadre «idyllique» pour le no man’s land.

Notre imagination peut certes nous jouer des tours et nous faire voir du beau là où il n’y en a pas. Mais comme une lapalissade, elle est souvent copie conforme de la triste réalité. Certes, il ne suffit pas d’une jolie appellation pour que tout devienne floraison de couleurs à la Baya. Mais peut-être qu’à force, le qualificatif parviendra à suivre son adjectif.

On a même vu des cités d’habitations baptisées du nom de l’entreprise qui les a construites avant que, mémoire collective oblige, il ne soit repris officiellement par l’administration cadastrale. D’ailleurs, dans les années 1990, à la faveur de l’ouverture des lignes de bus privés, les jeunes de l’Ansej ont inventé une véritable cartographie des arrêts. A la carte, selon les demandes de leurs passagers. C’est ainsi qu’il y a eu les arrêts El hanout, el virage, Echadjra, ezzitouna, etc. Des lieux-dits improvisés qui ont permis de désenclaver des quartiers entiers. C’est dire que l’expression populaire se nourrit du vécu et s’impose dans la réalité. Un moment de gloire arraché aux méandres de l’administration.

Dans de nombreux pays, la toponymie fait l’objet de recherches linguistiques et sociologiques poussées. La toponymie étant aussi, au-delà de l’aspect préservation du patrimoine, une question de souveraineté. Elle est la marque indélébile de l’histoire d’un pays et de sa personnalité.

Le défunt Mostafa Lacheraf avait consacré une bonne partie de sa vie pour nous léguer dans son ouvrage Des noms et des lieux, tout ce qu’il y avait à savoir sur la toponymie de notre pays. Car le territoire est le cahier de l’histoire où les hommes écrivent leur vie, leurs croyances, leurs mythes et leurs rêves d’immortalité.

Si la mémoire humaine ne nommait pas les lieux, nous serions obligés à chaque fois de donner des caractéristiques pour les reconnaître. C’est pourtant souvent ce qui se passe quand nous doevons indiquer le lieu d’un rendez-vous : au lieu du nom de la rue, nous donnons des repères architecturaux incontournables comme la Grande Poste, la mosquée de la ville, la mairie.

Et heureusement que le téléphone mobile existe. Car pas grand-chose d’autre en termes de toponymie n’a évolué depuis longtemps si ce n’est par intermittence et au gré de volontés personnelles comme la débaptisation-rebaptisation numérique de l’Université d’Alger, qui reste cependant, pour tous, la Fac Centrale. Et comme la nature, même désertique, a horreur du vide… la source de richesse linguistique a tendance à se tarir.

Science du langage par excellence, la toponymie a pour but de fournir des points de repère pour localiser des lieux et les mémoriser. Et c’est bien là que tout se complique. La mémoire ancestrale n’ayant pas trop intéressée le pouvoir, le GPS ne peut entrer en jeu chez nous…

Farid Benahmed


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