Je voudrais revenir sinon simplement me raccrocher à une idée, une phrase de ma précédente chronique relative aux « pôles urbains », dans laquelle je disais qu’il ne fallait surtout pas utiliser la même expression pour désigner des objets urbains (ou urbanistiques) différents sous peine même de voir son propre raisonnement se retourner contre soi, et je l’avais illustrée par les conséquences en matière de relogement.
Je vous dis vite que j’utilise le terme « urbanistique » pour caractériser des objets parfois encore virtuels, existant seulement comme concepts ou plans, non concrétisés, et pour montrer qu’il s‘agit ainsi de projets, de créations et non pas de réalités historiques préexistantes.
Il faut préciser , ce que je n’avais pas fait, que cette notion de pôle fait partie du vocabulaire des opérateurs et qu’elle n’est pas un concept scientifique : entendons par là que ce ne sont pas des outils intellectuels pour analyser le réel mais des « opérateurs » qui servent aux décideurs divers et aux acteurs politiques d’exprimer une « forme » d’action. Ils sont donc susceptibles d’être analysés, « déconstruits » comme on dit, et non pas de servir d’outils pour analyser une réalité.
C’est vraisemblablement cette souplesse d’usage, due à leur flou, qui les met à la portée de quiconque veut parler d’aménagement sans en avoir forcément les compétences techniques ou scientifiques et surtout pour faire penser que les idées énoncées sont limpides, claires et l’avenir bien balisé.
J’avais remis en question ces certitudes affichées en écrivant, dans ma dernière chronique : « Il faudrait donc, pour permettre d’y voir plus clair, cesser d’amalgamer des objets urbains si différents, à contenu, fonctions, tailles différentes pour éviter des confusions préjudiciables entre ces trois catégories, et nous serons amenés à revenir, dans d’autres chroniques, sur les définitions applicables et les arrières plans de l’usage de ces notions. ».
Il ne s’agit pas d’un simple jeu de mots ou sur les mots, car chaque désignation renvoie à une composition de l’ensemble ; si vous ne mettez pas en place la composition qu’il faut, pour une opération, vous échouez et les conséquences peuvent être graves. C’est pour cela qu’il est inacceptable que des responsables jouent sur les mots alors qu’ils désignent des intentions différentes et qui appellent des modes d’action différenciés. »
Encore faut-il aussi prouver que l’opération choisie est pertinente au problème, mais la justesse de ces choix n’est pas discutée ici pour le moment.
C’est avec l’objectif de clarifier ces différences que je vous propose de revenir à ce que renferme ce mot et par lesquels sont désignés trois types d’objets urbanistiques , c’est-à-dire trois modes d’action et trois contenus distincts ; il s’agit de :
1- Les pôles comme résurgence des théories des pôles de croissance : l’idée de base, avec des applications variables, consiste à réunir dans un groupe de proximité, condition majeure, des activités de production ou de service, de préférence homogènes, des structures de recherche, une université. Selon les variantes, on appellera cela un cluster, un pôle de compétitivité ou sinon, si on en attend de grandes performances et avancées dans l’innovation (de rang mondial) pôle d’excellence.
Il semble que, comme toujours dans ces théories, cette mixture (ce mixage) devrait aboutir à des échanges internes qui feraient accéder l’ensemble des présentes à un niveau de productivité de rang supérieur ( selon Schumpeter).
Il y a de nombreux non-dits dans ces thèses, notamment qu’en arrière plan il ya un tissu dense d’industries qui agissent comme fournisseurs /demandeurs de services, de centres de recherche dotés de chercheurs compétents dans les domaines avancés. Or , toutes conditions qui ne sont pas réunies dans nos pays, tant notre tissu industriel est plein de lacunes et le nombre de nos chercheurs hautement qualifiés insuffisant. Qu’on en juge, à titre d’illustration, par la difficulté, lors de l’installation de l’usine de véhicules d’Oran, à trouver des sous traitants capables de produire ne serait-ce que 5% des pièces nécessaires (en quantité et qualité) et qu’il faudra au moins dix ans pour construire ce tissu de prestataires ! L’abandon des politiques d’industrialisation depuis le début des années quatre-vingt se paye chèrement maintenant.
Il faut y ajouter les problèmes de gouvernance (au sens de partage des pouvoirs) qui font qu’on a affaire en parallèle à un discours sur les stratégies industrielles, avec ce que cela, implique comme transversalité, et à des aménagements réduit à la viabilisation de zones d’activité à la manière des années soixante, sans aucune concertation ni projet commun à des secteurs ,pourtant membres de la même équipe dirigeante.
2- Les villes nouvelles : ce sont des établissements nouveaux, établis en rase campagne, bien que parfois cela se fasse dans une zone déjà partiellement urbanisée/occupée. L’important à noter est que, par définition, ils sont dotés de certaines caractéristiques qui leur valent ce nom de ville : une taille de population, une activité ou même des spécialités qui leur donnent une personnalité économique et une autonomie et suffisamment d’emplois pour occuper au moins trente à quarante pour cent des résidents, sans compter les services de rang supérieur.
C’est au regard de cette taille et de ces activité supposées autonomes, nouvelles et dynamiques, qu’elles sont appelées à jouer un rôle de rééquilibrage des trames et réseaux de villes dans les plans de rang supérieur (plans régionaux ou nationaux d’aménagement du territoire).
De plus, il semble qu’en Algérie, tout au moins durant une certaine période, que le parti qui a été pris est de profiter tant de leur localisation que des moyens importants mobilisés pour les réaliser , est de leur affecter aussi un rôle majeur dans la dynamisation des activités technologique de haut niveau comme les énergies renouvelables, la biotechnologie, la nanotechnologie, etc.
Nous avons montré dans des analyses comparatives qui ont embrassé le champ maghrébin (Algérie, Egypte, Maroc), combien l’interaction du projet avec son contexte local est important quelle que soit la vocation nominale du projet affiché. Sans doute y reviendrons-nous à d’autres occasions.
En faire des agglomérations, même importantes par leur volume, mais réductibles dans leur substance à des masse de logements, fortement dépendants du point de vue de l’emploi et des services d’une agglomération importante proche, en fera un satellite certes mais ne leur vaudra jamais le nom ou le rôle de ville nouvelle car ils seront dépossédés de la seule caractéristique indispensable , celle d’avoir par leur activité propre un effet d’attraction et de changement dans les flux d’échanges et les migrations alternantes.
3- Les nouvelles concentrations de logements : c’est un abus de langage que de les appeler ville, comme nous venons de le voir, mais aussi de les appeler pôles en ce qu’ils n’ont aucun des caractères (activités ou services) qui leur confèrerait une attractivité. En fait, ce qui est recherché à travers ce mode d’action se résume à trois considérations principales.
La première est la disponibilité des terrains : en allant loin de la ville on trouve encore des terrains relevant du domaine public donc faciles à prendre. C’est ce qui explique la vitesse à laquelle les lois pour déclasser les terres agricoles fertiles pour les offrir à l’urbanisation ont été promulguées.
Le choix de terrains à faible contrainte topographique (terrains plats ou à faible pente) pour économiser sur les coûts de viabilisation (et accroît les marges des entreprises).
La taille des emprises qui doit permettre de localiser de très nombreux programmes de logements successifs.
Ces trois paramètres offrent ainsi le loisir pour le secteur (chargé )de l’habitat la possibilité de réaliser le plus vite possible le plus de logements possibles. C’est un choix qui a de nombreuses conséquences, aussi bien en matière d’étalement urbain, consommation de terres agricoles, aggravation de la densification de l’urbanisation autour des grandes villes, etc., que sur la vie des « relogés » éloignés de fait, par ces opérations des lieux d’emploi, de scolarisation, de soins, etc. et qui continueront d’en payer le prix au niveau des générations à venir.
Tout se passe comme si on avait simplement délocalisé « hors la ville » le processus d’exclusion sociale ; pis, il est même aggravé par le fait d’y adjoindre des gens « relogés » alors que leur ancienne résidence leur permettait l’accès à des services dont ils (et leurs enfants) seront dépossédés à l’avenir. Il ajoute donc à la consécration des couches le plus pauvres dans leur statut d’exclus, la paupérisation, par la perte de revenu inhérente et engendrée par cet éloignement, de personnes issues des couches moyennes.
A triste impression que je tire de cet usage public et inadéquat de la terminologie des pôles est qu’il sert de couverture à des opérations horrifiantes dans leur contenu, leur conception et leurs effets et qu’il leur sert uniquement de « masque ».
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Bonjour,
Quelque soit le nom qu’on leur donne, ces extensions urbaines nourrissent une urbanisation tous azimuts fort inquiétante. Dans les années 1980, elles s’appelaient ZHUN, aujourd’hui on les nomme “pôles urbains”, ce sont à chaque fois des milliers de logements construit à la hâte pour répondre à une demande sans cesse insatisfaite.
Ce qui m’étonne le plus c’est qu’on n’arrive pas à tirer des leçons de nos erreurs….