Urbanisme et Gestion de la Ville : L’Âge de la Donnée Appelle la Renaissance du Métier
Nous vivons un moment de bascule historique. Alors que le monde entre dans une ère de confrontation technologique autour de la donnée urbaine, nos villes algériennes continuent d’être planifiées avec des méthodes héritées du siècle dernier.
- Par Akli Amrouche, Architecte & Urbaniste – le 23 Décembre 2025 -
Disons-le clairement : l’urbanisme, en tant que discipline créative et structurante, n’a pas encore véritablement commencé chez nous. Il a trop souvent été réduit à des formalités administratives, une gestion comptable du bâti qui a oublié l’essentiel : l’espace public que nous partageons, la qualité de vie et l’expérience collective. Trop de décisions passées ont relégué l’intérêt général au second plan, derrière la maximisation foncière.
Le Constat Alarmant : Une Planification « En Aveugle »
L’examen récent de plusieurs Plans d’Occupation des Sols (POS) soumis à enquête publique révèle une situation préoccupante. Ces études, souvent bâclées, s’apparentent davantage à des mécanismes de distribution de rente foncière qu’à de véritables projets urbains.
Des densifications massives (COS supérieurs parfois supérieurs à 8, hauteurs inadaptés aux sites) sont projetées sur des plans muets en 2D, sans aucune simulation des impacts réels sur l’ensoleillement, la circulation ou le stationnement. Cette planification « en aveugle », qui ignore la topographie et les besoins humains fondamentaux, n’est plus seulement une lacune technique : elle traduit une méconnaissance profonde du rôle de l’urbaniste, de sa capacité stratégique à imaginer et organiser la ville pour le bénéfice de tous.
Le Choc de l’IA : La Fin de l’Amateurisme
Cette absence de maîtrise de la donnée, combinée à une planification déconnectée du réel, devient aujourd’hui une vulnérabilité majeure face au choc technologique de l’Intelligence Artificielle. Car si l’administration planifie encore avec des outils obsolètes, les autres acteurs, eux, s’arment de technologies surpuissantes. Nous entrons dans une ère de « guerre asymétrique » de la donnée urbaine, que nous illustrons par deux exemples internationaux frappants:
1. Le Bouclier Citoyen (Le contre-pouvoir) :
En Écosse, des habitants démunis face à un projet géant de pylônes électriques ont utilisé une IA ObjectNow. Entraînée sur les 545 documents techniques du promoteur, l’IA a généré en trois semaines 11 000 lettres d’objection uniques, sophistiquées et juridiquement argumentées, paralysant le projet. La leçon pour nous est claire : la démocratisation de l’expertise est en marche. Demain, face à un POS bâclé en Algérie, une association de quartier pourra, grâce à l’IA, générer des milliers de recours techniques imparables, sans avoir besoin d’avocat, un architecte ou un urbaniste avisé pourra faire l’affaire. L’administration sera bloquée par sa propre faiblesse technique.
2. L’Arme de la Rente (La menace spéculative) :
À l’inverse, aux États-Unis, des entreprises comme RealPage utilisent l’IA pour créer des cartels algorithmiques, optimisant mathématiquement les loyers à la hausse pour extraire le profit maximal, chassant les populations avec une efficacité froide et automatisée. C’est le risque d’un urbanisme où la donnée sert la finance contre l’habitabilité.
Redonner le Pouvoir au Métier d’Urbaniste
Face à ces forces – des citoyens capables de tout bloquer et des acteurs économiques capables de tout exploiter – l’urbanisme n’est plus un luxe intellectuel, c’est une nécessité stratégique pour la puissance publique.
Pour les autorités, le signal est sans appel : intégrer l’expertise urbanistique n’est plus une option, mais une condition de survie pour gouverner efficacement et protéger l’espace public. L’administration ne peut plus se contenter de valider des plans comptables ; elle doit s’approprier les outils de simulation et de modélisation que la technologie offre. Non pour contrôler, mais pour prévoir, tester, et dialoguer sur la base de données fiables.
L’Urbanisme comme Levier de l’Intérêt Général
La transition vers une gestion urbaine moderne n’est pas seulement technique, elle est culturelle et politique. La ville de demain se pilotera par la donnée, mais cette donnée doit être éclairée par la vision et l’éthique du métier d’urbaniste.
Le défi est double :
Reconnaître et valoriser le métier d’urbaniste, pour que la ville ne soit plus seulement construite au mètre carré, mais pensée comme un espace de vie partagé.
h5. S’approprier les outils de l’ère numérique, pour que cette pensée urbaine devienne une action mesurable, capable de résister aux pressions spéculatives et de répondre aux exigences citoyennes.
La question n’est plus de savoir si ces outils seront utilisés, car la « guerre des algorithmes » a déjà commencé. La question est de savoir qui les maîtrisera, pour que la ville reste, in fine, un espace public au service de l’intérêt général.
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