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Nos stations de dessalement sont des mines d'or qui s'ignorent

L’Algérie est en pleine révolution hydrique avec ses méga-stations de dessalement (Cap Djinet, Fouka 2, Oran, etc.). Mais une question économique majeure se pose : le coût du mètre cube d’eau dessalée reste élevé par rapport à l’eau de barrage.
Et si la solution pour casser ce coût nous venait d’Asie ?

- Par Akli Amrouche, Architecte & Urbaniste – le 29 Décembre 2025 -

Une analyse récente des marchés asiatiques ( source de l’article ) révèle une réalité économique implacable : l’extraction de lithium à partir de saumure est devenue extrêmement rentable, avec des coûts de production deux fois inférieurs à ceux de la mine traditionnelle.
Le constat est simple : En Chine, ceux qui extraient les minéraux de l’eau salée génèrent des marges brutes dépassant les 45%. La leçon pour l’Algérie : Si nous appliquons ce modèle à nos stations, la vente des minéraux peut financer le processus de dessalement.
L’objectif ultime ? Une eau potable qui, une fois les minéraux vendus, revient moins cher que l’eau traditionnelle, voire devient un sous-produit « gratuit » de l’activité minière.
L’Algérie déploie actuellement l’un des plus grands parcs de dessalement en Afrique. Si l’objectif premier est la sécurité hydrique, le potentiel caché réside dans la saumure : un concentré minéral qui, s’il est traité par des technologies de pointe, peut révolutionner l’économie du secteur.

Optimisation de l’eau potable : Le rôle de l’Osmose Inverse (OI)

L’osmose inverse est le cœur des stations algériennes. Elle fonctionne en forçant l’eau de mer à travers des membranes semi-perméables.
** • Efficacité de récupération : En moyenne, une station moderne récupère entre 40 % et 45 % d’eau potable à partir du volume d’eau de mer pompé.
** • Le gisement dormant : Les 55 % à 60 % restants constituent la saumure. En intégrant des unités de « Second Pass » ou de « Brine Concentration » (concentration de saumure), l’Algérie pourrait augmenter son rendement en eau douce de 10 à 15 % supplémentaires, tout en préparant un résidu encore plus riche en minéraux pour l’extraction.

Magnésium et Béton Écologique : Vers la décarbonation du BTP ?

La saumure est particulièrement riche en magnésium. Son extraction sous forme d’oxyde de magnésium (MgO) ou de sels de magnésium offre une opportunité majeure pour l’industrie algérienne de la construction :
** • Ciment de magnésie : Contrairement au ciment Portland traditionnel, très émetteur de CO2, le ciment à base de magnésie absorbe le dioxyde de carbone lors de son durcissement.
** • Béton vert : L’utilisation du magnésium issu du dessalement comme adjuvant permet de produire un béton plus résistant et à faible empreinte carbone, alignant les projets d’infrastructure de l’Algérie sur les standards écologiques internationaux.
La récupération du magnésium sous forme d’oxyde (MgO) ouvre la voie à des cimenteries vertes. En utilisant le magnésium marin comme adjuvant ou base de liant, l’industrie algérienne peut produire un béton écologique capable d’absorber du CO2. C’est un levier majeur pour moderniser le secteur du bâtiment tout en respectant les engagements climatiques. Même sans remplacer totalement le ciment, le magnésium est utilisé comme adjuvant spécifique pour améliorer les propriétés du béton notamment la résistance au feu et aux moisissures, mais permet aussi de produire des panneaux de construction MgO (Magnesium Oxide Boards). Ces matériaux de nouvelle génération, ultra-légers et ignifuges, sont de plus en plus prisés par les architectes pour remplacer le plâtre traditionnel dans les éco-constructions.

Pour les bétons il y a aussi :
Compensation du retrait : L’oxyde de magnésium est un agent d’expansion contrôlée. Il permet de compenser le retrait hydraulique du béton (les fissures qui apparaissent au séchage), ce qui est crucial pour les grandes infrastructures en Algérie soumises à de fortes chaleurs.
Résistance en milieu marin : Le béton au magnésium résiste mieux à la corrosion par les sulfates et les chlorures. C’est l’adjuvant idéal pour construire des ports, des ponts côtiers ou les futures stations de dessalement elles-mêmes.

Le Chlore : Autonomie et traitement de l’eau

L’extraction du chlore à partir du chlorure de sodium (NaCl) majoritaire dans la saumure se fait par électrolyse.
**• Cercle vertueux : Ce chlore peut être directement réutilisé pour la désinfection de l’eau potable produite par la station elle-même, ou valorisé dans l’industrie chimique nationale.
**• Valorisation du Sodium : Parallèlement, la production de soude caustique (NaOH) devient un sous-produit précieux pour les industries de détergents et de papier en Algérie.

Le Lithium : Un levier stratégique

Le lithium marin est 10 000 fois plus abondant que les réserves terrestres mondiales.
** • Quantités en Algérie : Avec un objectif de production de 3,3 millions de m3/jour d’eau potable, l’Algérie rejette quotidiennement environ 4 millions de m3 de saumure.
** • Récupération pratique : En utilisant des tamis ioniques à effet mémoire, le pays pourrait théoriquement récupérer plus récupérer plus de 350 tonnes de Lithium Carbonate Equivalent (LCE) par an. Ce produit, de qualité « batterie », est la pierre angulaire de la transition énergétique et du stockage de l’énergie solaire saharienne.

*Vers un modèle de rentabilité inversée pour le dessalement

L’adoption d’une approche de valorisation intégrale transformera radicalement l’économie du dessalement en Algérie. Au lieu d’être un centre de coûts environnementaux et énergétiques, la station de dessalement devient une unité de production polyvalente où l’eau potable n’est plus l’unique produit de valeur.

Optimisation de la ressource hydrique

En intégrant des technologies de concentration de saumure (Second Pass RO), l’Algérie peut extraire 15% d’eau potable supplémentaire à partir du même volume pompé. Ce gain direct renforce la sécurité hydrique pour la consommation humaine et l’irrigation agricole sans augmenter la pression sur les écosystèmes marins.

Autonomie industrielle grâce au Chlore

L’électrolyse des sels de la saumure génère du chlore et de la soude caustique. Ce processus garantit une autonomie industrielle totale pour la désinfection de l’eau potable produite sur site et fournit des matières premières essentielles aux industries chimiques et de détergents locales.

Un bénéfice environnemental total

En extrayant ces composants, on réduit drastiquement la salinité du rejet final. On passe d’un déchet nocif pour la faune et la flore marine à un résidu quasi-neutre. Grâce à cette économie circulaire, le coût de production du m3 d’eau devient potentiellement inférieur à celui des eaux conventionnelles, car l’eau n’est plus le seul produit de valeur : elle devient le sous-produit d’une mine minérale durable.

La Preuve par les Chiffres

Pour chaque 1 000 Litres (1 m³) d’eau de mer traitée, voici le trésor que nous gaspillons actuellement :
  • Le Magnésium (~1,2 kg/m³) : Un gisement massif immédiatement rentable pour fabriquer des « éco-ciments » locaux et des matériaux réfractaires.
  • Le Lithium (~0,10 g/m³) : C’est ici que le modèle chinois prend tout son sens. Sur une station de 300 000 m³/jour, c’est une production annuelle stratégique qui se chiffre en dizaines de tonnes, valorisables à prix d’or sur le marché international des batteries.
  • Le Sel et le Chlore : Pour l’industrie chimique et la production autonome de Javel pour la station elle-même.

Vers une Nouvelle Industrie ?

Le défi technologique est clair et offre des opportunités immenses pour la Gen-Z algérienne :
  • Ingénierie Inverse : Qui saura adapter les membranes d’extraction chinoises (type adsorption + membrane) aux spécificités de la Méditerranée ?
  • Chimie Verte : Qui lancera la première unité de production de briques de magnésium « Made in Algeria » directement en sortie de nos stations de dessalement ?
  • Optimisation IA : Qui développera l’algorithme capable de gérer les flux de saumure pour maximiser l’extraction sans ralentir la production d’eau ?

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